Visitez le temple d'Esna, en Haute-Egypte

Publié le par Voyages Culturels

Construit par Ptolémée VI Philométor, le lieu de culte permet aussi de mesurer la haine qu'entretenait l'empereur romain Caracalla envers son frère Géta...
 
 
"Esna", en arabe, "Latopolis", en grec ou "Iounit", en égyptien, est située à 60 km au sud de Louxor, sur la rive occidentale du Nil. La cité appartenait au troisième nome (province) de la Haute-Egypte. Son principal temple était dédié au dieu Khnoum. Représenté sous la forme d’un bélier, Khnoum est considéré comme le « potier divin » qui façonne les êtres, car sa fonction principale est celle de démiurge. Il est d’ailleurs souvent représenté devant son tour, modelant le roi. Il est également le gardien de la première cataracte et le seigneur d’Eléphantine. C’est d'ailleurs à ce titre qu’il lance l’inondation. Il peut servir de réceptacle des âmes de quatre grands dieux : Ra, Geb, Shou et Osiris.
L'origine du temple d'Esna

Quelques mentions d’un lieu de culte à Esna apparaissent sous le règne des rois Touthmosis III, Amenhotep II (XVIIIe dynastie) et Psammétique Ier (XXVIe dynastie), mais c’est Ptolémée VI Philométor qui fit construire un grand temple. Celui-ci était précédé d’un pylône décoré par ce même roi macédonien. Il ne subsiste aujourd’hui du temple qu’une salle hypostyle. Les premiers décorateurs de cette construction furent les empereurs romains Claude, Vespasien et Titus. Nous leur devons les inscriptions de la façade et du mur extérieur sud. Leurs successeurs, de Domitien à Commode, couvrirent de hiéroglyphes et de scènes d’offrandes les murs extérieurs nord et ouest. A l’intérieur, ils s’occupèrent des colonnes, du mur du fond et d’une partie de la paroi nord. Septime Sévère et ses deux fils décorèrent la quasi-totalité de l’intérieur du temple. Seuls Philippe l’Arabe et Dèce laisseront leurs noms et quelques scènes cultuelles après le règne de Caracalla.

Khnoum et Neith

Le créateur du monde était adoré sous une double forme, celle de Khnoum, le dieu bélier, et celle de Neith, la déesse archère de Saïs (cité du Delta occidental). Autour de ces deux divinités s’était constituée une famille divine. Auprès de Khnoum, une déesse aux traits gracieux, Nebètou, une déesse lionne, Menhyt, et un jeune dieu, Héka. Auprès de Neith, deux divinités moins courantes : un dieu crocodile, Chémanéfer et Tithoës, chef des dieux messagers. Les reliefs gravés sur les murs nous livrent environ 230 scènes rituelles. Nous trouvons aussi quelques hymnes à Khnoum.

Les querelles impériales à Esna

Un examen de la décoration effectuée à l’époque des Sévères mène à des constatations assez troublantes. Il est surprenant de constater à quel point l’histoire des querelles impériales, décrite par l’Histoire Auguste (suite de biographies d’empereurs romains datant du IVe siècle de notre ère), a pu laisser des marques dans un édifice aussi particulier et lointain de Rome que ce temple. Nous y trouvons des personnages gravés puis effacés, des cartouches dont le nom a été soigneusement arasé, et quelquefois surchargé.

 

Ainsi, la querelle qui opposa les deux fils de Septime Sévère, Caracalla et Géta, est clairement visible à Esna. Caracalla fit assassiner son frère et éliminer l’ensemble de ses partisans. Il décida de pratiquer envers lui une "damnatio memoriae". Il ordonna donc de faire disparaître de l’Histoire toute trace de son frère. Les représentations de Géta furent détruites, ses bustes enlevés et jetés, son nom martelé. Cela se produisit dans tout l’Empire, ce qui démontre la haine violente de Caracalla envers lui.

La fureur de Caracalla en Egypte

En Egypte, les papyri contenant le nom de Géta furent grattés, les sceaux furent martelés. Même les représentations à l’égyptienne du jeune empereur furent modifiées. Ainsi, à Esna, la fureur de Caracalla sévit. Dans le bas du mur sud de la salle hypostyle, il y a une scène unique à plus d’un titre. Il s'agit du seul endroit d’Egypte où l’on peut voir un empereur romain (Septime Sévère) accompagné de son épouse (Julia Domna) et de ses deux fils (Caracalla et Géta). Il s’agit aussi de l’unique représentation, à l’égyptienne, d’une impératrice romaine.

 

Celle de Géta a été soigneusement martelée et arasée, au point de ne plus se présenter que sous forme de silhouette sans relief. De même, son nom en hiéroglyphe a été martelé et ravalé. Dans le temple, il existe six autres scènes décorées et inscrites au nom de Géta. A chaque fois, son nom a été gratté et il a parfois été remplacé par celui de Caracalla. Toutefois, les figures de Géta ont beaucoup moins souffert que sur la scène familiale.

 

L’égyptologue français Serge Sauneron expliquait que sur cette dernière représentation, Caracalla ne pouvait usurper le nom de son frère puisqu’il avait déjà le sien. Il n’était pas concevable qu’il se fasse représenter deux fois. Il était donc nécessaire de faire disparaître, cette fois, le nom et l’image de Géta.

 

Notons que l'empereur Trajan Dèce fit également remplacer les cartouches de son prédécesseur, Philippe l'Arabe, par les siens.

Autres intérêts d'Esna

Le temple d’Esna présente aussi un autre intérêt. Il possède deux textes cryptographiques. Ils sont rédigés avec différentes variantes du signe du bélier ou du crocodile. Aujourd’hui encore, leur lecture est difficile. Cela indique que même à l’époque romaine, l’écriture égyptienne était toujours vivante et dynamique. Il y a aussi un superbe plafond astronomique datant du règne de l’empereur Claude.

 

Le temple d’Esna mérite donc d’être visité. Malgré ce qui est parfois raconté sur les bateaux de croisière, il est ouvert, accessible et le lieu est totalement sécurisé.


Sébastien Polet

 

Esna

Publié dans Egypte

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